Avant, quand je travaillais dans la presse féminine, la femme idéale en couverture était forcément blonde au yeux bleus, et mince et jeune. Pas question de mettre un autre type en avant au risque de faire moins de ventes. La blonde « ça vendait mieux » que la brune ; la rousse, c’était hors de question ; quant à la noire, l’orientale ou celle aux yeux bridés, c’était même pas la peine d’y penser. Chronique d’un racisme ordinaire au pays de la beauty…

Quand je m’intéressais encore vaguement à la presse l’année dernière, j’ai bien vu fleurir quelques sujets sur les cheveux crépus (on m’avait même proposé d’en rédiger un, ce que j’ai refusé de faire). C’était mieux que rien, vu que jusqu’à présent le moindre papier sur ce sujet était proscrit (allez, on en avait un tous les 6 ou 10 ans pour faire genre…). Je dois dire qu’IG a pas mal aidé à casser ces vieux codes, même si les médias ont tardé à réagir.

Trop de femmes noires, ça veut dire quoi ?

Et pourtant, même sur les réseaux, il reste encore des recoins moisis. C’est pour cela qu’il y a quelques semaines sur IG, avant même que ne se déclenche la rage de l’autre côté de l’Atlantique et ailleurs dans le monde, j’ai volontairement sorti cette phrase d’Aïmara Coupet, la créatrice de B+Radiance. Ca a beaucoup fait réagir et même choqué certain.e.s d’entre vous. Et ça m’a confortée dans l’idée qu’il ne fallait pas éluder le sujet. car non, finalement rien n’avait vraiment changé.

« Inclusivité » qu’ils disent (qu’il est moche ce mot !). On en parle bien sûr. Mais on ne fait qu’en parler. On colle une noire ou une arabe ça et là dans les pubs et les magazines pour montrer qu’on a le quota (by the way, vous pouvez pousser encore un peu, car en France, y’a pas de quotas ! Enfin, soit disant…) et on estime qu’on a fait le job. Bah non ! Le job n’est pas fait puisqu’une marque peut encore « se faire moucher » par des « professionnels de la profession » parce que son IG est trop « sombre » (Ahahah !). Mais trop « sombre » par rapport à quoi ? A qui ? Une marque qui s’adresse à toutes les carnations doit être représentée par des femmes de toutes les couleurs de peau. C’est non négociable !

Une lueur d’espoir en 2017

Ce qui est triste dans cette histoire c’est qu’on avait eu, j’avais eu une lueur d’espoir quand Rihanna, avait bien remis les compteurs à zéro il y a 3 ans, en forçant toutes les marques à sortir de leur « zone de confort ». Tout à coup certaines mettaient en avant toutes les peaux pour vanter leur modernité et leur inclusivité. Ce que jusqu’à Fenty Beauty, elles n’avaient pas fait ou alors du bout des lèvres… Elles sortaient soudainement des fonds de teints « pour toutes les carnations ». Certaines les avaient en stock toutes ces teintes, mais elles ne communiquaient jamais dessus… Pourquoi ne pas l’avoir fait plus tôt, les amis ! On revient de loin : je me souviendrais encore de cette présentation (ça date d’il y a 4-5 ans à peine) où, dans un beau discours universaliste, une marque déclarait s’adresser à toutes les femmes. Mais dans la vidéo de com’ qui suivit ces paroles, pas une seule femme noire ! Ca m’a fait mal au bide, d’autant que c’était une marque que j’aimais beaucoup. Visiblement, leur vision de « toutes les femmes » s’arrêtait aux limites du périph’. Je caricature, mais ça m’a vraiment fait cet effet.

Changer l’entreprise pour changer le discours

… Et faire bouger les mentalités aussi. Dans le temps d’avant, d’avant la Covid, ça ne choquait personne que les publicités ne montrent qu’un physique de femme. Ca filait des complexes à toutes celles qui n’entraient pas dans ces canons, mais c’était pas si grave puisque les produits se vendaient. Les pubs et les magazines imposaient un modèle, un type de beauté et chacune n’avait qu’à s’identifier. Ou pas. #invisibilité 🙁

A leur décharge, comment voulez-vous vous adresser au plus grand nombre quand dans vos équipes, vous ne recrutez que des caucasiens ? Milieux identiques, cursus identiques, couleur identitque, aucune tête ne dépasse… Que savez-vous des femmes aux cheveux crépus que vous croisez 2 secondes dans le métro, dans l’ascenseur qui mène à votre beau bureau ou dans la rue ? Ben, rien, car vous les voyez pas, vus ne les côtoyez pas ! Dans les entreprises de cosmétiques, encore aujourd’hui, la diversité est comment dire… un voeux pieux. Allez chercher une femme ou un homme noir dans un service marketing ? En plus de 20 ans dans ce milieu, je n’en ai jamais rencontrés ! Moi-même côté média, j’ai été pendant plus de 20 ans la seule journaliste beauté noire ! Or, je suis certaine qu’il y a des jeunes qui suivent ce genre de cursus (communication, marketing etc.) et qui seraient à même de travailler dans ces entreprises et d’apporter leur expertise et leur vision élargie du marché. If you want to change the storytelling, change the storyteller ! Si vous voulez changer l’histoire, changez de conteur ! Ca vaut pour les marques et ça vaut pour les médias aussi…

Vers une prise de conscience ?

Avec internet et ensuite IG, tout a été boulversé. Les vieux clichés se sont fait exploser. Les girls next door de toutes les couleurs sont devenues influenceuses, elles ont imposé de nouveaux canons. IG est le nouveau média et il ratisse large, très large, au-delà des frontières, des langues, des origines et des codes établis. Alleluia !!!! Malgré tout, la route reste encore longue. Et je suis ravie que les consciences se réveillent enfin et que tout à coup, on réalise que les dés sont pipés et que ça doit s’arrêter. Mais j’attends des faits, du concret.

Entre le moment où j’ai commencé à écrire ce post (je sais, je suis une tortue 🙂 ) et aujourd’hui, George Floyd a été assassiné par un salopard pervers et ses complices et l’Amérique s’est soulevée comme un seul homme, comme jamais… J’ai bien conscience que le sujet d’invisibilité est bien anodin au regard de ces évènements tragiques. Loin de moi l’envie de faire des raccourcis. Pourtant, je me dis que ce qui se passe, cette prise de conscience brutale doit nous amener, chacun à notre niveau, à interroger tous les ressorts psychologiques, sociétaux, économiques et systémiques en vigueur actuellement dans toutes les strates de la société, dans tous les domaines et l’industrie de la « beauté » n’y échappe pas. Elle fait partie du système, au moins d’un point de vue culturel et économique.

Pour conclure, je vous invite à regarder ce mini documentaire américain sur le test de la poupée. S’il ne vous arrache pas une larme… Mais l’idée n’est pas de vous faire verser des larmes de crocodile, l’idée est de vous montrer que les schémas mentaux, qui détermineront la société de demain, se construisent dès l’enfance, avec des paroles et des actes. La vision ou l’invisibilité de l’autre, l’empathie ou le mépris, voire la haine envers l’autre, tout cela se construit dès l’enfance. Et c’est au sein de la famille que cette éducation se fait. Je veux être optimiste et je pense que toute prise de conscience, même tardive, tout questionnement autour de la race est porteur d’espoir et surtout de changements. Et vous, vous en pensez quoi ? Venez échanger !

6 commentaires

  1. Bravo pour ce très bel article, Chantal 👏
    Même espoir que vous à l’arrivée de Rihanna & Fenty Beauty sur le marché. Gardons espoir en cette période car les lignes pourraient enfin bouger pour de vrai !

    • Chantal Soutarson Répondre

      Bonjour Aïna, Merci pour votre lecture :-). J’aimerais bien que ça bouge, mais j’ai l’impression que les vieux schémas sont encore tellement encrés. Les choses changeront sans doute, mais je ne serai peut-être plus là pour le voir, à la vitesse où ça va 🙁

  2. Coucou Chantal,
    J’ai aimé ton article et il n’y aura pas de « mais » car je trouve tes mots justes c’est complètement ma pensée et ma vision. Je pense que les choses commenceront à bouger quand au niveau de l’éducation des choses se feront (parents- enfants et l’éducation nationale) Car comme tu le dis ces schémas nous sont appris des l’enfance.
    Trop doucement mais peut être sûrement je veux le croire que les choses changeront.
    Bisous
    Vanessa alias so-so vanilla ☺️

    • Chantal Soutarson Répondre

      Coucou Vanessa :-), merci d’avoir pris le temps de me lire, c’est cool de te retrouver ici. Je partage évidemment ton constat et j’irais même plus loin, les adultes aussi doivent s’éduquer car ils ont pour la plupart un biais racial qui les empêche de voir la réalité. Je t’embrasse 😉

  3. Bravo, très bel article Chantal. Espérons que les choses changent pour de vrai et vite !

    • Chantal Soutarson Répondre

      Hello Charline, il faut espérer et plus que l’espoir, il faut une volonté (presque politique au sens large du terme) des gens de la profession. Et je ne suis pas certaine que ces « gens » aient intérêt à ce que l’ordre établi change. Car jusqu’à présent, il fonctionnait très bien comme ça ce sytème, alors pourquoi le modifier ???

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