Auteur.

Chantal Soutarson

Parcourir

Involontairement iconique

Aujourd’hui je m’entretiens avec Suzanne Santos, Responsable Clientèle Monde chez Aesop depuis plus de 30 ans. Arrivée tut droit d’Australie, elle diffuse l’expérience Aesop partout sur la planète. Suzanne a été au début de l’aventure Aesop avec son créateur Australien,  Dennis Paphitis. Entre nous, cette marque reste un mystère pour moi (et je suis certaine que pour certains d’entre vous aussi). Pas ou peu de marketing, des formules bien différentes de celles que réclament les consommateurs aujourd’hui. Et pourtant depuis son Australie natale, Aesop reste immuable, toujours auréolée de succès et d’une fidélité sans faille de la part de ses consommateurs et adorateurs. J’espère que cette interview vous donnera quelques éclairages sur la cultissime Aesop.

Depuis combien de temps travaillez vous chez Aesop ?

Suzanne Santos : J’y travaille depuis le début.

Quelle a été la source d’inspiration de Dennis Paphitis lorsqu’il a crée Aesop ? Quel est la philosophie derrière la marque ?

Je ne suis pas certaines que j’utiliserais le mot « inspiration ». On doit se projeter 33 ans en arrière et imaginer ce qui n’existait pas à cette époque, vous devez vous rappeler ce qu’était la cosmétique traditionnelle, tous les parfums artificiels, les colorants, et vous devez également vous rappeler que les gens mangeaient différemment mais qu’il y a eu une évolution dans la façon de penser et que cela a influencé la naissance d’associations comme Friends of the Earth (ndlr. Cette association est née bien avant, en 1969). Dennis a eu une prise de conscience, même si je ne la qualifierais pas de radical par rapport à ces différents sujets, mais sa vie a certainement influé sur sa vision des choses et c’est comme ça qu’Aesop est né. En tant que coiffeur, il utilisait des produits conventionnels, et de la même façon qu’il vivait sa vie, il pensait que ses principes pouvaient s’appliquer aux cosmétiques ou au haircare, que l’on pouvait faire différemment. Et il a fait en sorte de mettre ses principes en application. Il a commencé à utiliser des huiles essentielles, qui connaissaient un grand revival à cette époque. On leur prêtait des tas de vertus (elles sauvaient le vies, les mariages…). Au-delà de ces fantasmes, Dennis les utilisait en fumigation chez lui, c’est comme ça que tout a commencé. Depuis le début, c’est ce qui fait notre différence, notre façon de faire les choses et de penser à ce que nos clients peuvent attendre de ce qu’on leur propose.

3 Aesop est vraiment mystérieuse. Elle ne suit aucune mode, semble ne pas voir de plan marketing, ne fait pas de pub, n’a pas d’égérie, lance 4 nouveaux produits par an… Et pourtant elle est devenue une marque mondiale iconique. Qu’est-ce qui fait que Aesop est si différent des autres marques ?

La construction d’une entreprise est quelque chose de très complexe qui ne devrait jamais se faire au détriment des autres. Faire sa place en dénigrant les autres est une façon assez médiocre de se construire. La concurrence est saine mais on doit savoir qui on est et pourquoi on est là et pas se définir en parlant mal des autres. C’est ce que l’on s’est attaché à faire.  L’avantage de la démocratie, c’est que vous pouvez chercher et trouver les produits qui vous conviennent. Donc tous les produits trouvent leur place et des gens à qui ils conviennent. Le monde serait beaucoup plus paisible si les gens pouvaient juste faire les choses de façon calme et détendue.

Je ne dirais pas que nous n’avons pas de plan marketing. On a un département entier qui s’y consacre. Aesop n’est pas conventionnel par certains aspects, vous avez raison. Tout ce que vous avez cité et que nous n’avons pas s’est fait avec ce que nous avons. La différence ne vient pas d’un marketing artificiel mais d’un homme qui pense de façon différente, qui a un sens des besoins personnels, une vision qui est été à la base de Aesop et est toujours d’actualité. L’idée c’est plus d’approcher les besoins du consommateur d’une façon différente, les produits de façon différente et de communiquer cela.

4 On ne le sait peut-être pas, mais Aesop a été l’une des premières, si ce n’est la première marque à lancer le concept de routines cosmétiques saisonnières dès le début. Pourriez-vous nous expliquer le principe  ?

Dès le début, on a vendu Aesop dans des régions où le climat était extrême. On a vendu en Europe, aux US, en Amérique du Sud et en Asie très rapidement, donc on a dû faire face à une grande variété de saisons. Et face aux effets du climat, mais aussi de l’environnement, l’idée était d’appréhender les soins de la peau d’une autre façon. Dans la chaleur de l’été, avec l’humidité ou l’air conditionné, la peau réagit différemment. Face à ces situations, on fait très attention aux ingrédients que l’on choisit et on guide les consommateurs. C’est important de pouvoir offrir à quelqu’un une formule adaptée à sa problématique. Les gens attendent un conseil et sont demandeurs.

5 La marque dit qu’elle utilise à la fois la nature et la science. Qu’est-ce que cela veut dire ?

Cela concerne directement la façon dont nos produits sont formulés. L’utilisation d’ingrédients de laboratoire apporte de l’innovation et améliore l’efficacité des produits et contribue à protéger. LA science  améliore et renforce l’efficacité des ingrédients naturels. Les deux sont liés. Il faut se rappeler que c’est une entreprise qui a 32 ans, et à l’époque il y avait peu de marques qui faisaient cela. C’est de là que vient cette expression.

6 Qu’est-ce qui inspire le lancement de nouveaux produits sont-ils crées ?

Je ne parlerais pas d’inspiration, mais plus d’une expérience sincère. Quand on regarde toutes les lignes que nous avons (visage, corps, cheveux…), et à travers les nouvelles connaissances que nous avons sur les ingrédients, le développement d’une ligne part d’un seul produit, auquel on ajoute un deuxième, un troisième et la ligne se développe au fil du temps. Chaque fois qu’on sort un produit, c’est parce qu’il y a une raison d’être, que derrière il y a un consommateur qui aura envie ou besoin de ce produit supplémentaire. On n’a jamais et on ne sera jamais prisonnier de la nécessité de produire. De produire juste pour promouvoir l’entreprise, de produire par peur de voir le consommateur se détourner et donc de lui proposer toujours quelque chose de nouveau. On n’a jamais été prisonniers de ça et nos consommateurs non plus. Nos produits naissent d’un besoin sérieux, d’un désir sérieux.

7 La plupart des formules utilisent des huiles essentielles. Et de plus en plus de gens sont sensibles ou allergiques à ces ingrédients. Comment gérez-vous ce problème ?

Je verrais les choses sous un angle légèrement différent. Je ne sais pas si les gens sont plus allergiques aux huiles essentielles. On doit se rappeler que les HE étaient déjà utilisées en Mésopotamie. On les utilise depuis des milliers d’années. Dans nos produits, de la façon dont nous les utilisons, elles ne provoquent pas de réactions. Quand on parle formulation et utilisation des HE dans les cosmétiques, ce n’est absolument pas différent de la façon dont elles sont utilisées dans la pharmacopée. Sauf qu’il existe sur cette terre, des gens qui sont allergiques, c’est vrai, et il est vrai qu’ils peuvent avoir des réactions. Mais vu le nombre de produits que nous vendons partout dans le monde, on a très peu de retours. On sait ce qu’on fait et on sait pourquoi on le fait. J’ai confiance dans nos formules et je sais que nous faisons les choses bien pour les gens.

8 Il y a une demande grandissante pour des produits de beauté clean, voire bio, dans le monde entier actuellement. Quelle est la position de la marque à ce sujet ?

Je pense que nous avons été, avec quelques autres, à la genèse de ce mouvement. Il y a des milliers de marques dont certaines se sont inspirées, certaines avec leurs propres valeurs, d’autres avec leur besoin d’être différentes. Ce n’est pas que je ne comprends pas. Moi-même en tant que consommatrice quand j’achète des oeufs, j’en suis consciente, ce n’est pas différent. Mais la réalité, c’est que les gens ont besoin d’efficacité. Les gens savent pourquoi ils achètent des cosmétiques. On a aussi des produits qui sont des associations d’huiles et effectivement, ils ne contiennent rien d’autre. Alors cette idée de pureté, d’un point de vue marketing, peut sembler un peu factice. On ne fait pas la promotion de ces produits en mettant cela en avant. Le besoin d’apporter dans sa vie des produits safe est un besoin naturel. Nos produits ne sont pas là pour faire du mal. Donc ce besoin de pureté n’est, selon moi , pas antinomique avec ce que nous faisons.

9 Il y a également de plus en plus de critiques concernant des ingrédients comme les PEGs, le phenoxyethanol et d’autres. Comment vous positionnez-vous également par rapport à ça ? Est-ce qu’on parle de possible reformulation ?

On ne se sent pas mal à l’aise avec les ingrédients que nous utilisons. Quand nous sommes en présence d’une alternative valable qui convient en termes d’efficacité, de stabilité et de sécurité, on peut tout à fait switcher. Mais une partie du problème avec les PEGs, ce sont les impuretés qu’ils peuvent contenir, pas l’ingrédient en lui-même. Nous retirons ces impuretés et nous utilisons ces ingrédients avec précaution. La sécurité est notre priorité quand nous utilisons ce type d’ingrédients. Il y aura toujours des gens pour voir le danger partout, il y aura des gens qui amplifient tout, d’autres qui ont besoin d’ennemis, et pour eux certains ingrédients sont les ennemis. Les PEGs ne sont pas un problème majeur pour nous.

10 Vos ingrédients viennent d’un peu partout dans le monde, qu’en est-il du sourcing ?

C’est important pour nous, d’un point de vue durabilité, et par durabilité j’entends bonnes pratiques. Faire de son mieux est le plus important. On met toujours autant d’attention et d’effort à rechercher les ingrédients, en prenant en compte l’endroit où ils sont produits, par qui et comment ils sont produits, comment ils sont transformés en laboratoire. On a une grosse responsabilité dans ce domaine. Pour en revenir au PEGS, ce n’est pas tant qu’ils ont été mal conçus, c’est plus comment vous les utilisez. Et ça vaut pour tous les autres ingrédients.

Quand nous utilisons un nouvel ingrédient c’est vraiment parce qu’il a des qualités, pas pour nous démarquer. On utilise une famille d’ingrédients qui nous conviennent, c’est là-dessus que la marque s’est construite. (BT : vous n’en cherchez pas d’autres continuellement ? ). On doit être sincère, avoir une bonne raison d’aller chercher quelque chose de nouveau et ce quelque chose doit s’insérer dans ce qui existe déjà sinon vous tournez en rond et vous vous éloignez de ce dont le consommateur a vraiment besoin.

11 Comment gérez-vous l’empreinte carbone, puisque vos ingrédients viennent de partout ?

Oui, ce n’est pas un sujet assez pris en compte. Les produits mais aussi les ingrédients doivent voyager. Il y a beaucoup de déplacements. Et nous faisons beaucoup d’efforts pour compenser cela, on utilise des bateaux plutôt que des avions dès que possible. C’est un gros sujet, on a un service dédié à ce problème, qui suit et nous fait remonter les informations quasiment toutes les semaines. Mais on a toujours eu une empreinte carbone assez soft, donc on n’a pas de honte à avoir, on n’a jamais prétendu ne pas en avoir une, mais il n’y a pas d’utopie. Pour moi, l’essentiel est de faire de votre mieux pour le consommateur et pour la planète.

12 J’allais vous parler de durabilité, mais vous avez déjà dit beaucoup de choses. Cependant, vous utilisez du verre et de l’aluminium depuis toujours, vous étiez déjà un peu visionnaires…

Dennis était visionnaire. Et comme je disais, on a toujours essayé de faire les choses avec douceur. Ce mot et cette idée de durabilité sont très complexes. Quand vous voyez tout ce que cela implique de changer un conditionnement pour un autre, une matière pour une autre. Même le sujet du recyclage implique un tas de contraintes,. On n’est qu’au début, vraiment. Rien ne se fera rapidement. Je lisais un article sur le Tetrapak  et les tentatives pour le transformer. Donc pour toutes les compagnie, quand il s’agit de packaging, il y a des choses évidentes et il y en a d’autres pour lesquels il n’y a pas d’alternative. Il n’y pas eu non plus d’investissements dans ce sens, mais ça viendra et il y a certains petits groupes qui y travaillent et trouveront des solutions alternatives. C’est très facile, quand on est extérieur, de dire que l’on devrait faire les choses autrement quand est fabricant. Mais la réalité c’est que ce n’est pas si simple. Ce serait une bonne chose si les gens de différents pays pouvait commencer à discuter ensemble sur la complexité de ce sujet, car on arriverait certainement à un résultat en tant que citoyens, si on parlait le langage de la vérité.

13 Pourrait-on imaginer un système de remplissage des flacons par exemple ?

Oui, on peut imaginer quelque chose, mais encore une fois, pour qu’il y ait remplissage il faut que les contenants soient propres. Nettoyer veut dire, créer des infrastructures… Certains ont déjà innové dans ces domaines. Quand vous innovez, vous créez et donc, l’intelligence et la sensibilité que vous mettez dans une entreprise doivent s’appliquer aussi à ce sujet. Chercher, trouver, faire les choses en conscience, ça fait totalement partie de notre quotidien.

14 Au fait, Aesop, ça veut dire quoi ?

Aesop était un conteur, un sage et faisait des révélations, un peu de psychologie. Dennis a choisi ce nom, en hommage à ses origines grecques, et parce que c’est un beau mot, qui commence par A, la première lettre de l’alphabet. Au début vous m’avez parlé de l’absence de marketing, il y a des touches dans les fondations de la marques, dans ses prises de décision qui étaient très marketées mais d’une façon non conventionnelle. C’est de là que vient Aesop, c’était une entreprise naissante, avec peu de produits juste des convictions. Et nous chérissons ce nom et ce qu’il est devenue.

Quand j’ai décidé de me rendre à Londres pour découvrir le salon Indie Beauty Expo (#IBE pour les intimes 😉 ) en octobre dernier, je m’attendais à un « truc » énorme, vraiment énorme, avec genre 200 marques indépendantes venues du monde entier. Mais non, 85 marques tout au plus (ce qui est déjà pas mal, je vous l’accorde !). Et bon, pas de quoi y passer 2 jours non plus. Mais ce fut très instructif quand même, alors j’ai décidé de vous faire un petit compte-rendu sur ce salon pro qui donne un tout petit aperçu de la cosméto actuelle.

Une foire à tout

En fait, c’était un mélange de plein de marques et de concepts très différents. Certaines ayant à peine quelques mois en côtoient d’autres qui bourlinguent depuis 10 ans. L’objectif pour toutes ces marques : trouver des distributeurs en Angleterre. Mais l’Angleterre est-elle une bonne option quand on nage en plein psychodrame pré-Brexit ? Il n’empêche que toutes ces marques étaient là pour faire du business. Une entreprise reste une entreprise, quelles que soient les bons sentiments.

Côté tendance, le CBD et la cup sont les grands gagnants. D’ailleurs, je me disais que j’allais faire un post sur le CBD, vous en pensez quoi ? Bref, ces deux sujets sont très à la mode chez les anglo-saxons en ce moment.

Indie Beauty London, chanvre, CBD

Des apparences tellement trompeuses

Côté formules, on est loin d’être dans le clean, green. Certaines marques flirtaient avec le green washing de façon vraiment indécente. Je pense à une marque de soin cheveux et visage en particulier. Elle affichait des fruits et des végétaux sur ses flacons (des tubes en plastique, ahaha !), le 0% qui va bien ( 0% paraben, paraffine, MIT, huile minérale, colorant), mais là où ça ne le fait pas du tout, c’est qu’elle arbore un pseudo logo Bio bien trompeur car non officiel. Et ça se gatte quand on jette un oeil plus attentif à la liste INCI, en particulier dans les tous premiers ingrédients. Entre autres, on trouve du dimethylamine, un remplaçant des silicones moins nocif pour les cheveux que ces derniers mais dont le procédé de fabrication l’est (nocif) pour la nature. D’ailleurs, cet ingrédient n’est pas autorisé en bio (en France en tous cas). Mais je vous rassure, on retrouve du dimethicone  (un silicone donc !) pas loin et même avant et des laureth sulfates aussi, bien entendu… Et on affiche qu’on est  « suitable for vegetarians » (des fois qu’on voudrait boire son conditionner, ahaha !). Bref, ceux-là ont parfaitement compris comment hameçonner le chaland. De gros logos, du 0% ceci 0% cela et voilà comment on se fait passer pour green, voire carrément bio, alors qu’on ne l’est clairement pas.

Indie Beauty Expo London, beauté, cosmétiques

Un exemple parmi d’autres. Je ne dis évidemment pas que toutes les marques présentes à ce salon étaient dans une démarche similaire, mais force est de constater que toutes les marques indépendantes n’ont pas pour objectif de faire bouger les lignes de la cosmétique. Décevant, mais pas étonnant… Il y a de l’argent à se faire à l’heure où le consommateur veut tout savoir, prendre le contrôle sur ce qu’on lui vend. Se faire passer pour ce qu’on est pas est d’autant plus facile.

Moralité :  restez vigilants, très… Vigilants !

D’une manière générale, je trouve que ceux qui en font trop sur les logos, les 0% etc. sont toujours un peu suspects. Et ça se confirme.

Autre travers répété dans ce salon : on continue de trouver des produits avec moult packaging et sur-emballages (blister pas mort 🙁 !). Et à quelques exceptions près, comme la marque de soins Maiiro, fabriquée à Guernesey, l’écologie ne semblait pas être un sujet chez les exposants de ce salon. Dommage !

En tous cas, ça m’a permis de me rendre compte à quel point certaines (mauvaises) habitudes restent tenaces. Interroger les marques, les interpeler via les réseaux sociaux reste plus que jamais une nécessité pour le consommateur, dans ce secteur où tout le monde cherche à se faire une place un peu trop rapidement.

Mais tout n’est pas si sombre : à IBE, j’ai croisé Julie Exertier de la marque éponyme et Alexis Robillard le créateur de All Tigers, deux dignes représentants de la cosmétique à la française. N’hésitez pas à les réécouter sur Beauty Toaster le podcast (#Exertier épisode 23 et #AllTigers Episode 48 of course !

IBE London, indie brand, Guernesey

C’est une auditrice, Bonnie Garner (qui  est aussi blogueuse) qui m’a suggéré l’interview d’un.e spécialiste en toxicologie. Alors, voilà ! Marjorie Perrimon a un long parcours dans la beauté. Elle a été esthéticienne, mais aussi vendeuse en parfumerie, et a ressenti, un jour, le besoin de se former à la toxicologie et de pouvoir apporter des réponses claires aux interrogations des consommateurs.

De blogueuses à créatrices de marque

Bonjour Elsie, bonjour Dominika. Comment vous  êtes-vous rencontrées ?
Elsie Rutterford (à droite sur la photo). On s’est rencontrées alors qu’on travaillait ensemble. Ca fait un bail maintenant, peut-être 6 ou 7 ans. On travaillait dans la pub. On a été embauchées à peu près au même moment, pour des postes similaires et on passait beaucoup de temps ensemble. On est devenue de bonnes collègues, de bonnes amies et c’est comme ça que notre relation « business » a commencé.

Et vous aviez déjà une passion pour les cosmétiques ?

Dominika Minarovic (à gauche sur la photo). Je pense qu’on avait une passion pour les cosmétiques, mais plus en tant que consommatrices. on était des « junkies » de beauté, Et je ne sais pas pourquoi, mais j’ai toujours été très branchée spa, relaxation, massages, le côté plaisir de la beauté. Et Elsie a toujours été passionnée par la couleur, elle a toujours testé et utilisé la beauté comme moyen d’expression pour mettre en avant sa personnalité, donc je pense qu’on aimait la beauté chacune à sa façon, mais notre amour de la beauté nous a réunies.

Est-il vrai que tout a commencé dans une cuisine ? Vous étiez plus cuisine que beauté, au début, c’est vrai ?

Elsie. Oui, j’ai pas commencé par la cuisine à proprement parler mais l’idée c’était plus de cuisiner pour sa peau. Donc on regardait ce qui se faisait en cuisine. Et on a été influencées par tout ce mouvement autour de la nourriture, l’alimentation saine et le wellness. On trouvait ça super et on faisait des trucs comme des smoothies green, et on s’est demandé si on ne pouvait pas transposer ça dans la beauté. On a bien évidemment commencé dans la cuisine, on allait dans le réfrigérateur et on disait : « Tiens, on a des avocats, voyons si on peut avoir les mêmes bénéfices en l’appliquant en masque sur la peau qu’en le mangeant. »

Et en 2015, vous avez crée votre blog, Clean Beauty Insiders. De quoi parlait-il ?

Dominika. Je pense que ça correspond à la période où on a commencé à se détourner des marques cosmétiques traditionnelles pour aller vers des alternatives plus naturelles. Et parce qu’on a été assez déçues par ce qu’on trouvait en termes de beauté naturelle que ce soit en pharmacie ou dans les boutiques de beauté traditionnelles, on a décidé de faire nos propres produits.

Vous trouviez les produits naturels ringards ?

Dominika. Je pense qu’à cette époque, le naturel était plutôt un marché de niche et très marginal. Et on trouvait que les formules étaient très sommaires, elles n’avaient la pas la sophistication ou la science ou alors elles ne se présentaient pas de cette façon, mais c’est vrai qu’elles n’avaient rien de funky, elles n’étaient pas modernes. Et l’expérience, le résultat étaient décevants par rapport aux cosmétiques qu’on achetait avant. Et c’est parce qu’on ne trouvait pas ce que l’on cherchait qu’on a crée Bybi. Mais Clean Beauty Insiders c’était bien avant, ça racontait notre voyage de la cosmétique traditionnelle vers la cosmétique naturelle, on partageait nos recettes beauté, on a construit une communauté, on a commencé à parler de beauté naturelle, ce que personne n’avait jamais fait avant, en Grande-Bretagne.

Et ce fut un succès dès le départ ?

Dominika. On aime bien se dire que oui, plus que le succès, ce qu’on a fait c’est de nous constituer une communauté vraiment loyale et engagée. Et cela a contribué à développer le blog et nous a préparé à la création de notre marque, parce qu’on a senti qu’il y avait une vraie passion pour ce qu’on faisait et je pense qu’on avait vraiment trouvé une sujet intéressant et innovant, un ton juste pour parler d’un secteur cosmétique qui était là depuis longtemps, mais dont on n’avait jamais parlé de façon intéressante. Donc ça nous a motivées.

Je sais que vous avez suivi les cours de Formula Botanica (cours en lignes sur la formulation de produits bio et naturels), vous pensiez déjà à monter votre propre marque ?

Elsie. On aimait bien faire nos recettes, et on a pensé qu’il y avait un truc à faire dans ce secteur en plein développement, tous nos amis nous demandaient « Est-ce qu’on peut acheter ce baume que vous venez de fabriquer ? ». On s’est dit qu’on pouvait peut être se faire payer. Mais n’ayant aucune formation en cosmétiques, on a pensé que ce serait un peu compliqué. Alors on a cherché où on pouvait étudier tout en continuant à travailler. Et Formula Botanica dispense des cours online. Alors on a étudié La Formulation de Produits Naturels,  et ça nous bien aidées pour renforcer les connaissances que nous avions déjà acquises de façon empirique en fabriquant nos propres produits, ça nous a enrichies et ça nous a permis d’écrire un livre sur nos recettes (publié chez Penguin). Donc ce cours nous a vraiment amenées à l’étape suivante et nous a légitimées en tant qu’expertes.

Et comment avez-vous eu l’idée d’écrire ce livre ?

Dominika. On avait l’habitude de partager nos recettes et ce format écrit+visuel pouvait très bien être transposé sous forme de livre. Il y avait également, à cette époque, un mouvement autour du Clean Eating (ndlr. Stop à la mal bouffe) et plein de livres autour de ce sujet. Donc c’était très facile pour nous d’incarner l’équivalent beauté du Clean Eating. On était dans les super aliments, les aliments de votre réfrigérateur que vous pouvez transformer en  produits de beauté sur mesure. Donc c’était facile et plein d’éditeurs étaient intéressés. Ca a été une super expérience et on s’en souviendra toujours.

Bybi, vegan, clean beauty, England, Brexit

Bybe est né peu de temps après le livre, pourquoi était-ce si important de créer votre marque ?

Elsie. On s’est rendu compte qu’il y a avait un manque sur le marché. Et on était très enthousiastes à l’idée d’être celles qui combleraient ce manque. On est très ambitieuses. On savait qu’on voulait faire un truc à nous. Dominika l’a évoqué, mais on voulait créer une marque avec de l’éthique d’un point de vue formulation mais également avec de super ingrédients, pas des trucs plein d’eau, avec plein de filler synthétiques (ex. silicones) qui n’ont aucun intérêt pour la peau.  Donc la formulation était importante. Mais il fallait également que nos produits soient vegan, non testés sur les animaux (ndlr. Notez que les tests sur animaux sont interdits dans l’Union européenne depuis 2003) et s’inscrivent dans un processus de durabilité. Tout en voulant leur donner un look frais et moderne. C »était nos engagements et on a aussi pensé que, et on pense toujours qu’il n’y a pas encore grand monde sur ce segment de la beauté naturelle et que c’était important de créer cette marque et de permettre aux gens de la trouver dans les magasins de beauté et non dans les magasins bio traditionnels.

Avez-vous été inspirées par d’autres marques ? Non, apparemment non…

Dominika. Si, on l’a été bien sûr. A ce moment-là, il y avait des marques très intéressantes qui se lançaient, comme Glossier. Il y a tellement de marques qui nous inspirent. Nos valeurs qui sont le veganisme, l’absence de cruauté sur les animaux et la durabilité se retrouvent ailleurs que dans la beauté. Et on s’inspire de plein d’autres entrepreneurs dans différents domaines qui partagent notre éthique. Mais la beauté est un secteur particulièrement  dynamique en ce moment alors oui, on regarde ce que font les autres, que ce soit le packaging, le marketing, la distribution, Instagram, comment ils échangent avec leur communauté, comment ils la construisent. Il y a plein de marques, surtout les indie brands (ndlr. marques indépendantes), qui nous inspirent.

Anglaises, américaines, françaises ???

Dominika. Je citerais des marques comme Glossier, Drunk Elephant. En Grande-Bretagne, on a Isle of Paradise et il y en a plein d’autres.

Et dites-nous en plus sur Bybi. Qu’est-ce qu’elle a de différent ?

Elsie. On est 100% naturel. on est labiliés vegan par la Vegan Society et certifiés Curelty Free avec Leaping Bunny . Et l’un des point importants pour nous, c’est la durabilité. Ca devient de plus en plus important au fur et à mesure que la marque grandit. Les consommateurs sont de plus en plus préoccupés par l’impact écologique, on est nous-même très préoccupées par le sujet. La durabilité c’est une chaîne, donc on regarder chaque ingrédient qu’on utilise depuis sa mise en culture, son extraction jusqu’à son arrivé aux UK, comment ils est cultivé jusqu’à la commercialisation du produit fini. On fait de gros efforts sur le packaging. On utilise du verre dès que possible, vu qu’il est recyclable à l’infini, on imprime directement sur le flacon contrairement à d’autres, on utilise un bio-plastique issu de la canne à sucre, qui est à la fois biodégradable et recyclable, donc on est pas mal engagées sur cet aspect. Notre ambition est de devenir la plus grosse marque de beauté durable. Cela étant dit, on ne fait aucun compromis sur l’efficacité de nos produits. On utilise d’excellents ingrédients, ils sont vraiment efficaces, ils font une belle peau saine, ils donnent de l’éclat, mais on le fait dans le respect de l’environnement. C’est ça Bybi.

Bien que vous ayez commencé par le DIY, vous n’avez pas voulu faire de Bybi une marque de DIY ? Pourquoi ?

Dominika. Je pense que le DIY reste encore assez marginal. Et penser que dans nos vie modernes les gens ont le temps de fabriquer leurs propres produits est une idée formidable mais pas très réaliste. Bybi a été créé en partie pour réunir un certain nombre de valeur et provoquer un changement de comportement. On produit en masse, donc faire du DIY est compliqué. Mais on essaie de donner une touche de DIY avec certains produits comme dans la ligne de Boosters, des huiles pressées à froid, le type même de booster hyper efficace que vous pouvez ajouter à votre routine beauté. C’est un concept DIY assez naturel. Vous pouvez enrichir votre crème en mélangeant quelques gouttes d’un des boosters en fonction de l’état de votre peau. Et vous n’avez pas à acheter de nouveau soin. C’est ce côté sur-mesure que l’on aime dans la beauté DIY et non le produit que l’on reconstitue complètement tous les jours. On essaie encore de le faire en perso mais, c’est juste…

La vie moderne…

Elsie. C’est drôle quand même, de pouvoir aller dans sa cuisine. Mais maintenant que nous sommes des entrepreneures ou des créatrices, comme on dit, on n’a plus trop le temps.

Est-ce que certains ingrédients sont interdits chez Bybi ou seriez-vous prêtes à faire des compromis ?

Elsie. Pour l’instant nos formules sont à 100% naturelles, on n’utilise aucun ingrédient synthétique, on n’utilise pas non plus d’ingrédients d’origines animale. Sur le vegan et le cruelty-free, on ne fera pas de compromis. Il n’y a aucune raison d’utiliser des ingrédients d’origine animale aujourd’hui dans la beauté, surtout dans le skincare où on peut s’en passer facilement. Sur le tout naturel, il y a un an, on aurait eu une réponse différente, mais si un jour dans une lointain futur, il s’avère qu’un ingrédient synthétique est plus durable qu’un ingrédient naturel, c’est quelque chose qui doit être pris en compte. On doit être flexible étant donné que la durabilité est l’un de nos piliers. Et si cet ingrédient est bénéfique, en termes de résultats, pour la peau, on ne doit pas fermer la porte à ce genre d’option, mais pour l’instant, on reste 100% naturel.

Le vegan et le bio, c’est un gros truc en Grande-Bretagne en ce moment ?

Dominika. Oui, avec tout ce qu’on entend sur le changement climatique, les gens vont vers des marques plus éthiques, parce qu’ils pensent que c’est mieux pour la peau et pour l’environnement, ce qui est globalement vrai. Et plus particulièrement, avec la beauté vegan, les gens pensent que les produits dérivés d’animaux n’ont rien à faire de les cosmétiques, et encore moins les tests sur les animaux. pour les consommateurs, ces deux valeurs vont ensemble. On n’aime pas dire que c’est une mode car on espère que ce sera plutôt une lame de fond qui sera là pour durer, mais c’est effectivement une interrogation grandissante chez les consommateurs.

Est-ce que les consommateurs anglais sont aussi méfiants à l’égard des cosmétiques traditionnels que le sont les français ?

Elsie. Oui, je le pense. Je pense que cela a été instillé par le digital et le fait que l’information est si rapidement et facilement accessible aujourd’hui. Ce qui veut dire que pour des marques qui pendant des dizaines d’années n’avaient pas à partager la liste de leurs ingrédients ou à communiquer sur leur éthique, ces informations sont dorénavant disponibles pour les consommateurs, ce qui veut dire qu’il y a plus de demande de transparence et de meilleurs comportements. Plus que de la méfiance, je dirais que les gens veulent du mieux dans tous les domaines : alimentation, mode, beauté. Ils n’hésiteront pas à faire plus pour savoir si ce qu’ils achètent est mieux  et ce qui se passe, c’est que les grosses marques se font attraper quand leurs formules ne sont pas clean. C’est bien que le consommateur soit plus averti et informé, ça pousse les marques à être irréprochables, donc je pense que c’est un mouvement positif.

On trouve Bybi dans pas mal de pays maintenant, quelle est la prochaine étape ?

Dominika. Je pense qu’il y a encore plein de domaines à explorer en cosmétique, même si notre coeur de métier c’est le skincare.  Je crois qu’on peut nous trouver à peu près partout surtout grâce à notre partenaire Sephora. On est vendu en Europe, en Australie, en Asie du Sud-Est. Je pense que notre souhait serait que Bybi soit disponible pour plein de gens à travers le monde, mais il y a encore certaines parties du monde où nous ne sommes pas présentes, comme les US (Sephora US si tu nous entends), le Canada, le Moyen-Orient. Il y a encore tellement à faire. Et chez nous, on aimerait devenir une marque de référence car il n’y a pas de marque comme la nôtre, alors ce serait bien que les gens nous découvrent nous et notre passion, car je crois qu’on peut vraiment changer les choses en termes de durabilité en Angleterre. On a encore beaucoup à faire. On voudrait faire plus de démaquillants, d’hydratants, mais ça arrive, alors restez bien à l’écoute…

Pas de produits corps ou cheveux ?

Dominika. Pas pour l’instant. On a des produits visages qui conviennent pour le corps, même s’ils ne sont pas formulés pour le corps.

Je sais que vous avez aussi un podcast. Où trouvez-vous le temps pour le faire ? (ndlr. Clean Beauty Insiders)

Elsie. Oui, bonne question. On essaie, le truc c’est qu’on adore parler, au cas où vous ne vous en seriez pas aperçus, alors quand on s’y consacre on le fait avec plaisir. Le truc , c’est de se donner une plage horaire et de s’y tenir. Ce n’est pas aussi régulier qu’on le voudrait, seulement toutes les 2-3 semaines, ça dépend de nos plannings. On a 12 épisodes maintenant.

Et pour les gens qui ne connaissent pas, de quoi ça parle ?

Elsie. Ca parle de beauté, d’entrepreneuriat et de durabilité. On parle de ce qui nous passionne. On parle de challenges, de levée de fond, de comment on est entrées chez Sephora. On parle aussi de nos produits de beauté préférés comme Sunday Riley, ou de soins esthétiques. Voilà, si vous voulez entendre 2 entrepreneuses de la beauté parler de leur expérience.

Oui j’ai entendu, c’est très intéressant. Alors bienvenue dans la famille des podcasteurs !

 

 

 

Quel rapport entre l’huile d’argan et le Marathon de Paris ? Aucun. Enfin, sauf quand on s’appelle Meroia Sahmi. Cette jeune femme dynamique que rien ne semble pouvoir arrêter, entreprend tout à fond et avec passion. Son parcours est riche, pas banal du tout. Un défi sportif à travers par Paris la ramène vers la terre de ses origines, le Maroc. Et plus particulièrement vers l’huile d’argan.